Pensez Blockchain

La référence en chaîne de blocs au Québec

Tom Charlet-Caumont -

Juin 2025

 
 

Aspects juridiques sur Hyperliquid : entre innovation et vigilance réglementaire

Si Hyperliquid impressionne par ses prouesses techniques et son efficacité inégalée dans l’univers du trading décentralisé, il serait naïf de penser qu’un tel projet puisse se développer sans attirer, à un moment donné, l’attention des régulateurs. Et c’est justement ce qui est en train de se passer. L’objectif de cette partie est de lever le voile sur les tensions actuelles qui entourent Hyperliquid du point de vue juridique, tout en s’interrogeant sur les conséquences que cela pourrait engendrer pour l’avenir de la plateforme.

Dans un premier temps, on pourrait presque saluer la posture proactive de l’équipe derrière Hyperliquid. En effet, au lieu de fuir ou d’ignorer les autorités comme le font bon nombre de projets DeFi, celle-ci a directement interpellé la CFTC (Commodity Futures Trading Commission), l’organisme chargé de surveiller les marchés de produits dérivés aux États-Unis. Dans une lettre officielle, l’équipe a défendu son modèle en insistant sur le fait qu’Hyperliquid offrait déjà un encadrement robuste, sans permission centrale : collatéraux obligatoires, liquidations automatisées, registre transparent, absence de manipulation possible. À les écouter, la régulation est presque « déjà là », mais incarnée par du code.

Cette stratégie, bien que réfléchie, soulève malgré tout quelques questions. Peut-on réellement parler de décentralisation lorsque c’est une équipe bien identifiée qui prend la parole au nom de l’écosystème, entame des démarches institutionnelles et décide de la ligne de conduite à suivre ? La question mérite d’être posée, d’autant plus que cette ambivalence entre ouverture radicale et encadrement discret est un des traits les plus marquants, et les plus flous, de la DeFi actuelle.

Mais cette volonté de respectabilité juridique ne suffit pas à dissiper tous les doutes. En effet, selon plusieurs rapports issus de la presse chinoise, Hyperliquid aurait été mentionnée dans au moins trois enquêtes liées au blanchiment d’argent. Dans ces cas précis, des individus se seraient servis de la plateforme pour effectuer des mouvements de fonds illicites, en combinant le trading de dérivés avec l’usage de plateformes centralisées. Il ne s’agit pas ici de blâmer directement le protocole, la neutralité de l’outil est une chose, mais il est essentiel de reconnaître que l’absence de procédure KYC (Know Your Customer) ou de filtrage AML (Anti-Money Laundering) rend la plateforme vulnérable à ce type de dérives.

Un autre point d’attention, souvent soulevé par des observateurs critiques du projet, est la gouvernance d’Hyperliquid. Malgré l’étiquette « décentralisée » fièrement affichée, certaines décisions récentes (comme le retrait brutal du token $JELLY ou l’ajustement des carnets d’ordres) ont été prises de manière unilatérale par l’équipe de développement. Cela soulève une autre problématique : si une poignée d’individus possède un contrôle quasi-absolu sur les décisions critiques, la décentralisation affichée n’est-elle qu’un vernis ? Et surtout, en cas de litige, vers qui se tourner ? La plateforme n’a pas de structure juridique claire, pas d’entité domiciliée, pas de recours identifié en cas de piratage ou de perte de fonds.

Enfin, il ne faut pas oublier que le cadre réglementaire mondial évolue à toute vitesse. En Europe, le règlement MiCA (Markets in Crypto-Assets) commence à imposer de véritables obligations aux acteurs du secteur, notamment en matière de transparence, de gouvernance, et de traçabilité. Si Hyperliquid souhaite élargir son adoption et séduire des utilisateurs institutionnels, ou tout simplement éviter une mise à l’écart réglementaire, elle devra nécessairement s’adapter. Cela pourrait passer par une meilleure transparence sur son fonctionnement interne, un mécanisme de gouvernance plus ouvert, voire l’intégration volontaire de certains standards de conformité (audit des smart contracts, filtrage des adresses illicites, etc.).

En somme, Hyperliquid navigue dans une zone grise. D’un côté, la plateforme incarne les valeurs les plus pures de la DeFi : absence d’intermédiaires, transparence, rapidité, maîtrise technique. De l’autre, elle porte en elle des failles systémiques, centralisation implicite, opacité décisionnelle, risques juridiques, qui pourraient à terme freiner son adoption ou provoquer des sanctions. Reste à savoir si l’équipe fera le choix d’évoluer vers un modèle hybride, conciliant innovation radicale et encadrement progressif. Car comme toujours dans le Web3 : ce n’est pas seulement la technologie qui compte, mais ce que l’on en fait.