Pensez Blockchain

La référence en chaîne de blocs au Québec

Hydro-Québec

Pour une vision stratégique et intégrée des chaînes de blocs

ÉnergiePensez Blockchain

Charlaine Bouchard, professeure titulaire, Faculté de droit, Université Laval

Christophe Krolik, professeur adjoint, titulaire de la Chaire de recherche et d’innovation Goldcorp en droit des ressources naturelles et de l’énergie

Les chaînes de blocs entrent actuellement au Québec par la porte de l’énergie, mais leur potentiel dépasse largement ce secteur. Quant aux PME québécoises, il s’agit de grandes pourvoyeuses d’emplois, mais elles sont vulnérables. Elles ne pourront donc s’insérer sur l’échiquier mondial de cette nouvelle technologie sans une vision stratégique. Voilà pourquoi nous vous interpelons, M. le Premier ministre et M. le ministre de l’Énergie. Nous croyons que des réactions en urgence ne sont pas à la hauteur des enjeux. Dans ce débat, il faut absolument voir plus loin que les cryptomonnaies pour favoriser l’intérêt du Québec!

Le bitcoin est un système de monnaie numérique décentralisée produite à partir d’équipements informatiques de cryptographie. Le 17 décembre 2017, sa valeur a franchi la barre des 20 000 US$ avant d’accuser une baisse de plus de 50% . Cette flambée a favorisé le déploiement d’une nouvelle industrie de la cryptographie dans des États tels que Terre-Neuve et Labrador, New York, Washington, et l’Islande. Le Québec est directement concerné, le nombre de demandes de raccordement pour cette pratique reçues en février 2018 par Hydro-Québec équivalant à plus de 40 % de sa capacité de production. Face à l’ampleur de la demande, créée en grande partie par le distributeur qui a effectué la promotion de ses surplus, Hydro-Québec a imposé un moratoire et demandé à la Régie de l’énergie d’adopter en urgence un tarif dissuasif pour certains clients déjà raccordés recourant à la cryptographie.

Cet imbroglio montre que les pouvoirs ont voulu profiter de la valeur à la hausse du bitcoin pour maximiser les profits sur la vente des surplus en faisant fi des autres considérations liées à la chaîne de blocs. Il nous fait également prendre conscience du caractère limité de nos surplus en électricité. Il risque enfin d’engendrer la méfiance à l’égard des chaînes de blocs et par conséquent de dissimuler ses potentiels économiques, sociaux et environnementaux. Des leçons doivent donc être tirées.

Les mesures d’urgence demandées par Hydro-Québec révèlent une incapacité à anticiper le phénomène des chaînes de blocs. Cette ignorance dans son plan d’approvisionnement a de quoi surprendre lorsque l’on sait que son adoption est intervenue en 2017 et qu’elle est « la seule entreprise d'électricité en Amérique du Nord à posséder un centre de recherche » de cette importance destiné à la soutenir « dans toutes les facettes de ses activités ». La question de la capacité de nos moyens juridiques à assurer la sécurité de nos approvisionnements en électricité se pose.  

Une vision prospective du développement des chaînes de blocs est également requise pour comprendre l’impact que cette industrie pourrait avoir sur les cibles québécoises en matière énergétique. On peut penser que la preuve de travail (PoW), le principal système de consensus utilisé pour sécuriser les chaînes de blocs publiques, fiable mais couteux en énergie, gagnera en efficacité avec le temps ou que d’autres systèmes de gouvernance seront privilégiés. De plus, les chaînes de blocspeuvent contribuer à la modernisation des systèmes énergétiques sur de nombreux points. Dans le cadre de sa mission, Transition énergétique Québec doit élaborer un plan directeur en transition, innovation et efficacité énergétiques, dans une perspective de développement économique responsable et durable. Au regard des impacts majeurs des chaînes de blocs dans ces domaines, comment expliquer le silence de son projet de plan directeur sur le sujet ? Les audiences et commentaires qui se tiendront prochainement devant la Régie de l’énergie à son propos sont une occasion de combler ces carences.

Le bitcoinl’éther et plus de 1500 autres cryptomonnaies, marquent aujourd’hui l’avènement d’un tout nouvel écosystème technologique – une innovation de rupture – qui ouvrira le chemin à bien d’autres usages dans notre société. On n’a qu’à jeter un coup d’œil à ce qui se fait en Chine, aux États-Unis et en France depuis une dizaine d’années pour s’en convaincre : outre le transfert d’actifs, la chaîne de blocs permet d’assurer la traçabilité des produits et des actifs  et elle constitue un support technologique pour des programmes qui exécutent automatiquement les termes et les conditions d’un contrat. Les opportunités de développement s’avèrent donc considérables et le retard qu’accuse le Canada sera de plus en plus difficile à combler pour nos entreprises : selon le Wold Economic Forum, seulement 2,6% des entreprises canadiennes étaient actives dans le domaine en 2017. Le temps est venu d’intégrer les chaînes de blocs dans les politiques publiques québécoises et canadiennes. La stratégie numérique est naturellement visée mais plus largement toutes les politiques devraient être considérées.

Il faut donc y réfléchir sérieusement avant de faire le choix d’un filtre pour cette clientèle. Le manque d’implication des pouvoirs publics risque de favoriser les grandes entreprises étrangères de la cryptographie et de conduire à des abus de position dominante, à l’exemple des GAFA avec Internet. En effet, selon l’analyse produite par la firme KPMG pour Hydro-Québec, dans le processus de sélection des projets de minage les plus porteurs, la préférence serait accordée aux concepteurs de composantes aux fournisseurs d’appareils de minage, mineurs et opérateurs de pools, ce qui réduit considérablement les chances des PME québécoises.

Finalement, si l’on veut favoriser l’acceptabilité sociale des chaînes de blocs, leur développement devra être vu non comme une fin en soi, mais comme un outil permettant de répondre à des besoins non encore satisfaits. Les conclusions de la Commission de l’éthique en science et en technologie sur la ville intelligente sont transposables à cette question : les chaines de blocs, « sous une forme ou une autre, deviendr[ont] réalité. Les technologies numériques sont omniprésentes dans la société et se diffusent rapidement et massivement. Elles sont une composante intégrée de nos environnements. La question n’est plus de savoir si l’utilisation des données et des technologies numériques est une bonne ou une mauvaise solution. Elle est plutôt de déterminer selon quelles valeurs et quels principes nous voulons orienter nos choix en matière de technologies et de gestion des données numériques. Ainsi, il nous revient, comme société, de modeler [les chaînes de blocs] pour qu’elle réponde[nt] à nos valeurs ».